
Le deuil entrepreneurial: « vous êtes bien plus qu’un projet»
2021-04-19
4 minutes
Nicolas Chevrier
Psychologie du travail

Dr Nicolas Chevrier
Psychologie du travail
Nous vivons une période d’imprévisibilité et d’incertitude sans précédent, il va sans dire. Pour certains, elle ne se terminera pas de façon heureuse. Malgré les efforts, malgré la réinvention (!), malgré les aides gouvernementales ou privées, certains devront (ou choisiront de) mettre fin à des projets qui leur tiennent à cœur.
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À PROPOS DE L’AUTEUR(E)

Le Dr Nicolas Chevrier, psychologue, est titulaire d’une maîtrise en psychologie clinique et d’un doctorat en psychologie du travail et des organisations dans lequel il s’est intéressé aux impacts des facteurs organisationnels sur le développement de l’épuisement professionnel chez les travailleurs.
Nicolas Chevrier
À PROPOS DE
Pour les uns, ce sera simplement la fin d’un projet : vendre ou fermer une entreprise, terminer un projet majeur, décider de passer à une étape différente. Pour les autres, ce sera une lourde perte à encaisser. Ce que ces expériences ont en commun, c’est celle du deuil.
On sait que le deuil est souvent plus difficile à vivre pour certains d’entre nous. On sait également que d’en parler nous permet de normaliser nos réactions et, par le fait même, de le vivre plus sainement. Aussi, je prends l’initiative d’aborder le sujet aujourd’hui.

Étape par étape: dans l’ordre ou le désordre
D’abord, les fameuses étapes du deuil qu’on présente souvent pour expliquer les réactions émotionnelles parfaitement normales à la perte. On sait maintenant qu’elles ne sont pas vécues de la même façon et dans le même ordre par tous les individus. Il n’y a donc pas d’ordre prescrit. J’ai même déjà vu de la colère après la reconstruction. Ce n’est pas commun, mais ça arrive et ça ne veut rien dire sur la gravité de situation.
De même, il faut s’attendre à vivre des émotions différentes qui auront une saveur toute personnelle, selon ses sensibilités et ses expériences. Le contexte qui amène le deuil aura également un impact. Par exemple, le choc (qui est souvent la première étape) ne sera pas vécu de la même façon lorsqu’on apprend que la banque ne veut pas reconduire notre prêt que lorsqu’on se retrouve seul le premier lundi matin après avoir vendu son entreprise. La réaction émotionnelle est importante dans les deux cas, mais ses implications et notre façon de la vivre seront différentes.

Quand passe la tempête
La première étape est donc le choc. On apprend la nouvelle. On prend la mesure de la situation. Cette phase est souvent vécue comme une menace et, conséquemment, nous réagirons souvent de la même façon que face à une situation stressante. Nous vivrons alors plusieurs symptômes de stress aigu qui nous sont familiers: anxiété, stress, tristesse, fatigue, irritabilité.
Vient ensuite le déni. Une stratégie normale pour se protéger. On ne peut pas croire que l’événement se produit. Il s’ensuit des comportements parfois moins adaptés ; continuer de travailler comme si rien ne s’est produit (continuer d’aller chercher de nouveaux mandats), ne pas discuter de la situation avec des gens concernés (ne pas en parler aux employés), ne pas aller chercher l’aide requise (avocats pour l’organisation, psychologue pour soi).
Puis survient la colère qui prend souvent la forme de blâme (chercher un coupable ou une raison à ce qui arrive). Cette étape peut nous amener à briser des ponts avec des collègues, des associés. Il importe de prendre conscience de notre état émotionnel et d’agir en conséquence. N’oublions pas que la colère est une émotion qui a pour objectif une reprise de contrôle sur son environnement. C’est souvent une réponse au sentiment d’impuissance — une émotion souvent très difficile à vivre pour les entrepreneurs. Cette étape exige un travail de réflexion et un soutien émotionnel si elle perdure.

L’acceptation
Ensuite vient lentement l’acceptation. Ce moment où l’on accepte la perte et où l’on se résigne à laisser aller l’objet du deuil. Cette étape passe souvent, pour l’entrepreneur, par un bilan. Qu’est-ce que je retiens de cette expérience ? Qu’est-ce qui a bien fonctionné et moins bien fonctionné?
Finalement, on parle de reconstruction. Se refaire une vie: une nouvelle entreprise, un nouveau projet, un nouveau défi, et cela, en puisant dans l’expérience que nous a donnée l’objet du deuil. Je vais donc me reconstruire une nouvelle réalité. Celle-ci peut impliquer des relations différentes avec certaines personnes et même avec certains milieux. Elle implique des adaptations, mais elle comporte également ses charmes et ses écueils.
Ultimement, c’est ce qui importe: avoir un projet. Lorsqu’on se définit comme entrepreneur, c’est important de garder en tête que l’on est toujours plus qu’un seul projet. Les projets passent, ont des débuts, des milieux et des fins. Mais à travers ceux-ci, l’entrepreneur reste un individu qui entreprend et fait avancer des projets. Il pourra toujours entreprendre autre chose et par cela, il restera toujours un entrepreneur. On peut lui enlever son projet actuel, mais il aura toujours en poche de nouveaux projets. C’est même cela qui est au cœur de son expertise.